L’accumulation de plans gouvernementaux et les innombrables injections d’espèces sonnantes et trébuchantes dans les bétonneuses qui vrombissent aux quatre coins du Grand Paris — idée en soi peu compatible avec un habitat apaisé, car qui a envie de dormir dans un quartier rempli de camions malaxeurs remplis de pièces qui font drelin-drelin ? — n’y ont rien fait : la crise du logement continue de s’aggraver. Rien que cette semaine, les trois cas suivants nous ont été communiqués.
Les habitants d’immeubles décrépits d’un vieux quartier parisien ont constaté avec horreur que leurs logements, dont les cloisons délabrées sont vieilles de plus d’un siècle, sont si mal isolés qu’ils entendent non seulement tout ce que leurs voisins font, mais également tout ce qu’ils ne font pas. Chaque soir, jusqu’à une heure avancée de la nuit, parviennent à leurs oreilles, à travers les parois, les mots qu’ils n’ont jamais osé se dire. Et chaque matin à l’aube, ils sont réveillés par les cris des enfants qu’ils n’ont pas eu.
Dans d’autres quartiers, la gentrification a atteint une vitesse qui dépasse l’entendement. Partis au travail après avoir acheté le pain dans une boulangerie de quartier, les riverains découvrent à leur retour qu’elle a été remplacée par un restaurant à boire spécialisé dans les douceurs sans gluten. À l’intérieur de leurs logements apparaissent nuitamment, fixés aux murs par on ne sait quelle force ou quel être, des posters du MOMA et de la Piscine de Roubaix tandis que, sous l’effet d’une bactérie que la science tente encore d’identifier, pâtes et autre féculents épais s’effritent jusqu’à prendre la texture et le goût du quinoa.
Enfin, les locataires d’un immeuble ravalé il y a peu ont appris avec stupeur que si leurs minois tristes et peu amènes étaient parfaitement à leur place aux fenêtres du bâtiment gris qui était jusqu’à récemment le leur, ils faisaient désormais tache au milieu des sublimes bardages isolants en bois massif ajoutés dans le cadre de la mise en conformité de leur habitation avec les dernières lois sur la transition écologique. Pour cette raison, afin de respecter le geste architectural du maître d’œuvre chargé de la réfection du bâtiment, ils ont dû choisir entre une opération de chirurgie esthétique (que le promoteur a accepté de prendre en charge à hauteur de trente pour cent) et le déménagement dans une résidence plus adaptée à leur hideur.