La décision des autorités de remplacer les traditionnels isoloirs par des machines à voter s’est vite révélée impopulaire auprès de la quasi-totalité du corps électoral. Les conservateurs lui reprochaient de mettre un terme à un rituel aussi vieux que la République. Les défenseurs des libertés publiques, de ne garantir ni la sécurité ni la confidentialité du scrutin. Les économes, de représenter une dépense considérable et inutile en période de restrictions budgétaires. Il est pourtant une modification évidente, dont la mise en place serait aussi simple que peu coûteuse, qui permettrait de faire taire l’intégralité de ces critiques. Il suffirait pour cela, et en m’apprêtant à l’écrire je m’étonne que personne n’y ait encore pensé, de rendre les machines à voter entièrement autonomes.
L’Insee disposant de statistiques précises et détaillées concernant la répartition des votes au sein de chaque bureau de France et la science sociologique ayant fait quelques progrès, il est tout à fait envisageable d’utiliser ces données pour prédire, avec une granularité tout à fait respectable, le résultat des scrutins futurs. Quelques algorithmes simples, assortis au besoin d’une légère part d’aléatoire afin de garantir le suspens auquel les électeurs sont attachés les soirs d’élections, permettrait au bureau de vote de fonctionner en parfaite autarcie, sans même plus avoir besoin d’y faire venir les électeurs, ce qui non seulement permettrait de réaliser d’importantes économies, mais également de garantir le secret du suffrage de façon plus certaine qu’avec aucun des autres systèmes utilisés jusqu’alors.
Ainsi, libérés de l’inquiétude que leur vote soit modifié ou rendu public, ainsi que du stress bien naturel que connaît l’électeur au moment de choisir entre plusieurs options toutes aussi détestables, le citoyen se rendra, les jours d’élection, dans le bureau de son quartier où il pourra observer, tranquillement alignée dans un coin d’une pièce vide d’assesseurs, une rangée de machines biper discrètement en décidant pour lui de son destin.