Il est facile d’éprouver de la peine pour tous ces êtres dont le génie est resté méconnu faute d'être apparu à une époque où il aurait pu s'exprimer. Combien de Mozart naquirent et moururent dans l'anonymat le plus complet au cours du Néolithique* ? On peut toutefois se réconforter en imaginant combien d'autres ont eu la chance de ne pas souffrir des maux qui eurent été les leurs en d'autres époques. Combien eût été plus facile, par exemple, la vie de ces deux individus, s'ils avaient eu l'heur de naître avant l'invention de l'informatique ?
Gustave L., dont le timbre de voix, par un hasard extraordinaire, ressemble exactement à l’enregistrement de « Purple Rain » réalisé par Prince à Paisley Park en 1999. Cela lui interdit toute possibilité de rejoindre un salon de discussion vidéo ou audio, les algorithmes antipiratage coupant immédiatement le son de son micro afin de protéger les intérêts des ayant-droits.
Cécile Y., adolescente ordinaire au visage à peine grêlé de quelques discrets boutons d'acné que personne n’aurait remarqués si leur disposition ne correspondait pas exactement à celle d’un QR code, raison pour laquelle à chaque fois que la pauvre jeune fille est photographiée ou filmée par une webcam, l'appareil ayant réalisé le cliché est redirigé vers le site web d'une pizzeria de la banlieue d'Agen.
* Sachant qu’un seul Mozart est né durant les trois siècles d’existence du piano-forte et que le Néolithique a duré quatre millénaires, on peut estimer que 13,3 Mozart ont été gâchés. Beaucoup moins bien sûr si l’on tient compte de l’augmentation de la population humaine entre ces deux périodes.