Preuve supplémentaire que la nature profonde de l'humanité ne changera jamais et que seule une feuille de papier à vapoter sépare le paysan de l'an 1900 feuilletant la gazette agricole de sa région et le millenial mondialisé incapable d'ingérer un aliment sans l'avoir préalablement photographié, on remarque un succès croissant sur les réseaux sociaux de ces photos où des retraités hilares posent avec des légumes géants, qu'on suppose récoltés dans leurs potagers. Succès bien compréhensible, car il y a peu de joies si pures et si communicatives que celle que l’on éprouve à la vue d'un vieux monsieur, déjà adorable en lui-même, posant sourire jusqu'aux oreilles en brandissant, tout fier, un énorme navet.
Malheureusement, comme souvent sur Internet, les apparences sont trompeuses et, à l’instar des ces vidéos d’animaux mignons produites au prix de terribles maltraitances, pour ne pas dire de tortures, ces sympathiques photographies potagères cachent une bien sombre réalité.
Commençons par le cas le plus fréquent mais le plus anodin, qui relève de la simple escroquerie : le recours à des retraités de petite taille. Dans d’interlopes recoins du web, des firmes spécialisées dans la création de contenu viral ont mis en place de véritables agences de casting (on n’ose écrire « de véritables fermes ») qui écument maisons de retraite, clubs de bridge et associations du troisième âge à la recherche de vieillards de petite taille à qui ils proposent, en échange d’une somme dérisoire, de poser devant des légumes d’un volume à peine supérieur à la moyenne, souvent achetés un instant plus tôt dans le supermarché du coin, afin de créer l’illusion d’un végétal aux proportions extraordinaires.
N’allez pas croire cependant que toutes ces photos relèvent de la mystification. Il existe bel et bien des retraités capables, par des techniques que la science officielle ainsi que la plupart de ses variantes occultes peinent encore à expliquer, de produire par l’imposition des mains des légumes d’une taille dépassant largement les limites naturelles de leur espèce. Toutefois, en raison de leur rareté, la plupart de ces vieillards sont traqués et capturés par les producteurs de contenu, qui les traînent de pays en pays et de potager en potager dans des conditions qu’on n'oserait pas imposer à des animaux de cirque, les relâchant uniquement le temps d’une photo de potiron avant de les enfermer à nouveau dans leur cage. Pratique d’autant plus révoltante que ces anciens, laissés en liberté dans les champs, auraient pu depuis longtemps utiliser leurs pouvoirs pour mettre un terme aux famines plutôt que de les gâcher dans la production de contenu monétisable.
Pratique plus rare et plus terrible encore, à laquelle n’ont recours que les plus ignobles marchands de contenu, l’usage de très rares légumes, connus des rebouteux de nos campagnes sous les noms de « courtes-plantes » ou encore de « germes trois pouces », capables de réduire de plus d’un tiers la taille des personnes qui les tiennent dans leurs bras, probablement en drainant par capillarité l’eau contenue dans leur corps. Les margoulins distribuent ces végétaux maudits à de pauvres vieillards appâtés par des prétextes fallacieux et les obligent à les tenir dans leurs bras jusqu’à ce qu’ils soient si racornis que le légume paraisse en comparaison énorme.
D’aussi cruelles révélations, j’en conviens, peuvent être difficile à accepter, et l’on sait qu’une affirmation extraordinaire exige des preuves extraordinaires. Aussi je vous le demande, comment expliquer, autrement que par la manipulation de germes trois pouces, l’état dans lequel s’est retrouvé le couple Carter après des décennies passées à travailler dans les potagers de chantiers humanitaires ?